l’éducation plutôt que la loi

La démission du maire de Saint-Brévin m’a donné matière à réflexion (tout en jardinant 😉 ) et donc à un café philo #2. Allez, attrapez votre tasse, c’est parti !

Cette démission a beaucoup ému.

Petit rappel des faits : il avait présenté un projet de centre d’accueil de demandeurs d’asile. Des opposants à cette initiative s’en sont pris à lui, depuis des menaces jusqu’à un début d’incendie de sa maison, donc une volonté de nuire marquée.

Les réactions à cet événement douloureux ont été unanimes pour le condamner, et on entend désormais des voix qui s’élèvent pour proposer de modifier la loi afin qu’une agression contre un maire soit punie de façon drastique.

Cela me semble soulever une question: est-il plus grave de porter atteinte à un maire, un gendarme, un président qu’à son voisin ou à un commerçant en cas de désaccord ? Est-il bon d’imaginer une loi qui punisse sévèrement les atteintes à un élu, comme cela existe déjà pour les représentants de l’ordre ?

Ce que signifier une telle loi (pour les policiers et gendarmes aujourd’hui, pour les élus du peuple demain) : il y a des choses graves et des choses moins graves.

Si je vais casser la gueule de l’entraineur de foot de mon fils parce qu’il ne l’a pas sélectionné lors du dernier match, ce n’est pas très grave.

Si des personnes avec des idées extrêmes (droite, gauche ou centre, peu importe) me menacent, parce que j’ai écrit sur un blog ce que je pense, ce n’est pas très grave.

Si des enfants harcèlent ma fille à l’école parce qu’elle est grassouillette, ce n’est pas très grave.

Bien entendu, chacun à travers ces exemples éprouve assez vite, dans sa chair presque, que si, c’est grave. Alors que faut-il faire ? Un loi qui punisse sévèrement toutes les menaces, insultes, atteintes physiques ou morales, atteintes aux biens qui auraient pour origine des désaccords ?

Les sociétés humaines aujourd’hui sont traversés par ces courants d’essentialisation de plus en plus marqués. Beaucoup revendiquent faire partie de telle ou telle communauté, avoir telle ou telle appartenance religieuse, ethnique, philosophique, politique, et j’en passe. Persuadés d’avoir raison, ils se sentent autorisés à « agresser » les personnes qui ne font pas partie du même groupe. On le constate en politique, ou le débat se résume souvent à des attaques ad personam au lieu de discussions sur le fond. On le constate dans la cité, avec l’excommunication des personnes qui ne pensent pas comme soi, les débats sans fin sur les réunions « sans hommes » ou sur la possibilité pour un acteur hétérosexuel de jouer le rôle d’un personnage hétérosexuel.

Quelques œuvres se penchant sur ces phénomènes d’exclusion m’ont marquée, car j’y ai constaté que personne n’est à abri. Je citerai ici Le voyant d’Etampe d’Abel Quentin, dont voici un bref résumé:

Un professeur d’université un peu raté, divorcé, au début de sa retraite, se lance dans l’écriture d’un essai sur un poète américain méconnu qui se tua au volant dans l’Essonne, au début des années 60, communiste, proche de Sartre  entre autres. Sauf qu’il ne parle d’un point qui lui parait un détail : ce poète est noir. Le voici la proie d’une cabale sur un supposé racisme qu’il ne ressent pas, lui qui a participé à la marche des Beurs en 1983, lui qui… Du haut de sa soixantaine, ne comprenant pas les mécanismes des réseaux sociaux, et coutumier de maladresses incroyable, il va s’enferrer dans cette situation… Il est en fait attaqué par des personnes qui pensent savoir mieux que lui l’opinion qu’il convient d’avoir sur le poète américain.

Le film Burning days, une merveille à aller voir au cinéma en ce moment, met en évidence comment les mécanismes de haine et de violence envers celui qu’on soupçonne d’être différent sont aisés à mettre en œuvre: dans une petite ville de province, des notables locaux voyant qu’ils n’arriveront pas à corrompre une jeune procureur encore « droit » le font tomber dans un piège puis, à la fin du film (attention spoiler partiel !) déchainent sans difficulté le peuple contre lui avec des allégations caricaturales de vouloir changer les choses et d’homosexualité.

Je suis une inconditionnelle de la liberté d’expression. De la possibilité pour chacun de dire ce qu’il pense et d’avoir le droit de le dire. Mais je le conçois dans un esprit d’ouverture à l’autre, c’est-à-dire de capacité à recevoir ce qu’il dit, de capacité à le prendre en considération et à respecter son droit à penser ce qu’il a exprimé, même si cela me choque.

Par ailleurs, s’il est utile d’avoir des lois qui fixent un cadre sur le bien vivre ensemble, par exemple qui indiquent comme limite qu’on n’a pas le droit de tuer ou que l’inceste est un crime, les lois n’ont jamais eu de capacité à empêcher. Personne ne se dit « je ne vais pas harceler untel, parce que c’est un délit et que je risque la prison ». Quand on est aveuglé par sa colère, ou par un sentiment de puissance lié au sentiment d’avoir raison, il n’y a hélas plus de limites, plus de rationalité permettant de faire un pas en arrière et de réfléchir à la situation.

Il existe cependant un instrument qui a un pouvoir immense: l’éducation. Apprendre dès l’école à recevoir l’autre en tant qu’il est autre, à accueillir ses différences (pas à les accepter non, car accepter comporte une notion de jugement, à accueillir), apprendre comment une relation se construit et se dégrade, apprendre comment dialoguer avec les autres même quand on n’est pas d’accord, voilà qui me parait bien plus prometteur que n’importe quelle loi.

Espérant qu’un jour « vivre les relations » devienne une matière à part entière à l’école, les médiateurs professionnels accompagnent tous les jours des personnes avec la conscience d’une mission pédagogique et citoyenne : aider les gens à mieux vivre leurs relations.